Paris Centre est concerné au premier chef par le « surtourisme », que l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) définit comme « l’impact du tourisme sur une destination qui influence de manière excessive et négative la qualité de vie perçue par les citoyens et la qualité des expériences des visiteurs« . Ses quatre arrondissements sont en effet très prisés des touristes en raison de leur proximité avec les monuments emblématiques, les musées, les secteurs animés et certaines attractions telles que les boutiques de luxe. C’est ainsi le secteur qui concentre le plus de locations Airbnb dans une capitale elle-même premier marché mondial de la plateforme de location de logements entre particuliers…
Paris n’est bien sûr pas la seule victime de ce phénomène généré à la fois par la croissance continue des touristes du monde entier et par l’optimisation du business du tourisme, avec notamment les locations meublées touristiques saisonnières. Venise, Barcelone, Florence, Amsterdam, Londres, pour ne citer que quelques villes européennes, connaissent elles aussi ce changement radical lié au tourisme et à Airbnb.
Des effets pervers évidents
Les effets pervers de la surfréquentation et de la surpopulation touristiques sur les habitants et la vie locale sont évidents. La « touristification » de l’activité économique exerce un effet dissolvant sur le tissu commercial et social des quartiers. L’installation de grandes enseignes – souvent étrangères – aboutit progressivement au remplacement des commerces de proximité et des indépendants, avec une « uniformisation » commerciale qui va parfois jusqu’à nier les spécificités locales au fondement même de la démarche touristique initiale. Il devient ainsi « piquant » de lire dans les magazines américains que les voyageurs sont gênés de rencontrer dans leurs pérégrinations les mêmes enseignes internationales qui sont venues s’implanter jusqu’au cœur des villes historiques européennes. La raréfaction de l’offre de logements en location de moyenne ou de longue durée augmente les coûts moyens du loyer, générant un phénomène de gentrification et d’éviction des résidents locaux les plus modestes. Si la simultanéité n’est pas nécessairement synonyme de causalité, nous constatons que le centre de Paris perd de plus en plus d’habitants depuis que se développe « l’airbnbisation » de ses quartiers. La coexistence entre la location d’habitation et la location touristique génère de nombreux conflits d’usage. L’afflux de touristes met sous pression les infrastructures de transports et la gestion de certains services publics. Enfin, la touristification de l’activité contribue à « l’ubérisation » de l’économie et des modes de consommation, au premier rang desquels la livraison à domicile aux dépens du commerce de bouche.
La puissance de l’industrie du tourisme combinée à celle des transports aériens, la demande internationale massive, constituent des facteurs de destruction des villes attractives, particulièrement en Europe ou les sites historiques sont nombreux, de Prague à Lisbonne. Parce que le risque d’une disparition des cultures urbaines est bien réel, parce que Paris perd déjà régulièrement des habitants depuis une dizaine d’années, les pouvoirs publics doivent intervenir avec pugnacité.
A la recherche d’un tourisme plus durable
Pour préserver les équilibres avec la vie locale, la Ville de Paris a mis en place diverses mesures : promotion de destinations moins connues, diversification des attractions touristiques, sensibilisation à la préservation de l’environnement et bien sûr régulation des locations de courte durée. L’actuelle réglementation de la location meublée touristique saisonnière ou de courte durée n’est manifestement pas suffisante. Certes, le nouveau PLU de Paris bientôt adopté (fin 2024) devrait prévoir d’interdire les nouveaux meublés touristiques de loueurs professionnels dans les zones d’hyper-concentration touristique qui souffrent d’un déficit de logements, à l’instar de Paris Centre. Mais si la perspective de cette interdiction va dans le bon sens afin de protéger les résidents locaux permanents, elle ne prévoit pas d’objectifs chiffrés sous la forme de quotas et elle ne s’appliquera pas aux propriétaires qui louent occasionnellement leur résidence principale dans la limite de 120 jours par an.
Pour contenir et refouler les comportements de certains professionnels de l’immobilier qui participent d’un « capitalisme de prédation » (Frédéric HOCQUARD, Adjoint à la Maire de Paris en charge du tourisme), de plus en plus de riverains réclament désormais l’interdiction totale des locations meublées touristiques saisonnières dans le centre de Paris…
Aller plus loin
Il est possible d’aller plus loin dans la régulation. Et l’ADRAQH considère qu’il est souhaitable d’aller plus loin. Des quotas pourraient en effet être instaurés quartier par quartier, sans attendre l’après-Jeux Olympiques de Paris 2024 puisque l’offre de logements pour touristes est désormais suffisamment abondante. Les pouvoirs de réglementation des élus locaux pourraient aussi être élargis. Enfin, il conviendrait probablement de supprimer l’avantage fiscal accordé aux logements de tourisme classés : doivent-ils continuer de bénéficier d’un abattement forfaitaire de 71%, contre 50% pour les meublés classiques et 30% pour les locations classiques vides ?
Nous estimons que ces mesures sont indispensables pour un tourisme véritablement plus durable à Paris Centre, un tourisme « qui tienne pleinement compte de ses impacts économiques, sociaux et environnementaux, actuels et futurs, répondant aux besoins des visiteurs, des professionnels de l’environnement et des communautés d’accueil« , suivant la définition de l’OMT.
L’enjeu de la régulation du tourisme est celui de la ville que nous voulons. Voulons-nous une ville dégradée qui ressemble à un centre-ville américain « disneylandisé » ? Ou bien voulons-nous une ville qui garde sa culture et ses habitants, c’est-à-dire les Parisiens et le mode de vie « à la parisienne », lesquels, avec son riche patrimoine culturel matériel, sont à la source même du succès touristique de la capitale ?