(*source : La France pittoresque)
Henri IV, en domptant Paris et la Ligue, en 1594, n’avait point dompté ce fanatisme qui lui avait fermé si longtemps le chemin de son trône, et qui est si terrible dans ses fureurs, qu’il n’est surpassé que par le fanatisme de la liberté. Depuis 1594, jusqu’en 1610, il ne se passa presque point d’année qu’on n’attentât sur la personne sacrée du meilleur de tous nos rois.
Dans la matinée du 14 mai 1610 (Journal de l’Etoile), le petit duc de Vendôme, avec lequel Henri IV jouait, lui raconta que la Brosse (fameux astrologue de ce temps-là) lui avait dit : « Que sa majesté était menacée d’un grand danger ce jour-là. A quoi le roi répondit en riant : La Brosse est un vieux matois qui a envie d’avoir de votre argent, et vous, un jeune fou de le croire : nos jours sont comptés. » Le duc de Vendôme redit la même chose à la reine, qui pria le roi de ne pas sortir du Louvre le reste du jour ; à quoi il fit la même réponse.
Après le dîner, le roi se mit sur son lit pour dormir ; mais il se leva triste, inquiet et rêveur, se promena dans sa chambre quelque temps, et se jeta derechef sur son lit ; mais ne pouvant dormir encore, il se leva, et demanda quelle heure il était ; l’exempt des gardes répondit qu’il était quatre heures, et lui dit : « Sire, je vois votre majesté triste et pensive : si elle prenait l’air, cela pourrait la distraire. » « Tu as raison, dit le roi, fais apprêter mon carrosse, j’irai à l’Arsenal voir le duc de Sully. »
Au milieu de la rue de la Féronnerie, qui était alors étroite, un embarras de deux charrettes obligea le carrosse de Henri IV de s’arrêter. Les valets de pied ayant quitté les portières du carrosse pour faire reculer les deux charrettes, Ravaillac, qui suivait la voiture depuis le Louvre, monta sur un des rais d’une roue de derrière, et d’un premier, d’un second et d’un troisième coup de couteau, assassina le roi, qui expira dans l’instant.
Le duc d’Epernon était à sa droite dans le fond du carrosse ; les maréchaux de Lavardin et de Roquelaure étaient à la portière du côté du duc d’Epernon : à la portière du côté du roi, étaient le duc de Montbason et le marquis de la Force, et sur le devant du carrosse le marquis de Mirebeau et Duplessis-Liancourt. « Chose surprenante, dit l’Etoile, nul des seigneurs qui étaient dans le carrosse ne vit frapper le roi, et si ce monstre eût jeté son couteau, on n’eût su à qui s’en prendre. »
Le duc d’Epernon, après avoir fait ramener le corps du roi au Louvre, courut assembler le parlement dans le couvent des Grands-Augustins. Et comme quelques membres demandaient du temps pour délibérer, le duc, mettant la main sur la garde de son épée : « elle est encore dans le fourreau, dit-il d’un air menaçant, mais il faudra qu’elle en sorte, si on n’accorde pas à l’instant à la reine un titre qui lui est dû. » Aussitôt Marie de Médicis fut déclarée régente. Il ne se passa que trois heures entre cet arrêt et la mort du roi.
On voit dans un passage des Mémoires de Sully, le peu de précaution que prenait Henri IV contre les attentats dont il était sans cesse menacé. « Il me fut adressé de Rome, dit Sully, un avis d’une conspiration contre la personne de sa majesté ; je ne crus pas devoir le lui cacher. Il me répondit à cette occasion, qu’il s’était convaincu que, pour ne pas rendre sa vie pire que la mort même, il ne devait faire aucune attention à de semblables avis ; que les tireurs d’horoscopes l’avaient menacé, les uns de mourir par l’épée, les autres dans un carrosse ; qu’aucun ne lui avait jamais parlé de poison, qui était, à son avis, la manière la plus facile de se défaire de lui, puisqu’il mangeait beaucoup de fruits, et sans essai, de tous ceux qu’on lui présentait, et qu’enfin sur le tout il s’en remettait au souverain maître de ses jours. »
Il est constant qu’on avait prédit à Henri IV qu’il mourrait en carrosse ; cette idée venait de ce que ce prince, si intrépide ailleurs, était toujours inquiété de la crainte de verser, quand il était en voiture. Cette faiblesse fut regardée par les astrologues comme un pressentiment, et l’aventure la moins vraisemblable justifia ce qu’ils avaient dit au hasard.
Henri IV mérita le surnom de Grand, non seulement par ses exploits militaires, mais par son habileté dans toutes les parties du gouvernement. Il réforma la justice, il rétablit l’ordre dans les finances, ranima le commerce, protégea les arts et les sciences ; il établit des manufactures de haute-lisse, en laine et en soie, rehaussée d’or et d’argent : c’est à lui qu’on doit les vers à soie et les plantations des mûriers en France. On commença, sous son règne, à faire des glaces dans le goût de celles de Venise ; il acheva la galerie du Louvre, la façade de l’Hôtel-de-Ville de Paris et le Pont-Neuf. La poudre pour les cheveux fut inventée sous le règne de ce prince.
« Voici la recherche curieuse, dit Saint-Foix, qui fut faite sur le nombre de quatorze, par rapport à Henri IV ; il naquit quatorze siècles, quatorze décades et quatorze ans après la nativité de Jésus-Christ ; il vint au monde le 14 de décembre ; gagna sa plus importante victoire (celle d’Ivry) le 14 mars, et mourut le 14 de mai ; il a vécu quatre fois quatorze ans, quatre fois quatorze jours, quatorze semaines, et il y a quatorze lettres en son nom, Henri de Bourbon. »
Le président Hénault cite des lettres-patentes du roi Henri IV , qui ordonnent l’élargissement de la rue de la Féronnerie, pour faciliter au roi le chemin du Louvre à l’Arsenal, et il observe que ces lettres furent données le 14 mai 1554, cinquante-six ans (quatre fois quatorze ans) avant l’assassinat d’Henri IV. Il aurait pu ajouter que le premier roi de France du nom de Henri, fut sacré le 14 mai 1027. On trouve aussi que Marguerite de France, première femme de Henri IV, avec laquelle ce prince fit rompre son mariage, pour épouser Marie de Médicis, était née le 14 mai 1582.